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Interview

L'enfance de l'art

Qu’est-ce qui a déclenché votre passion pour la peinture ?

Mon père était artisan peintre et je l’accompagnais sur les chantiers quand j’étais enfant. J’étais fascinée par la peinture, cela me semblait être une vraie magie. Non pas tant le résultat du travail – des murs parfaits, aux couleurs harmonisées avec style – que le chantier en lui-même, avec ses murs que l’on dépouille des strates de vieux papiers peints et de peintures défraîchies. J’étais fascinée par ces palimpsestes et par les constellations de matières et de couleurs jonchés sur les cartons et bâches de protection mis au sol.
Mon inspiration vient de là, sans aucun doute.

Vos débuts en peinture ?

J’avais une dizaine, une douzaine d’années quand j’ai réellement commencé à peindre. Avant, c’était surtout le dessin et le modelage des mottes de glaise trouvées dans le jardin.
J’utilisais les pigments, l’huile de lin, l’essence de térébenthine disponibles dans l’atelier de mon père, je récupérais des chutes d’isorels ou de bois pour supports. Mon argent de poche me servait à acheter des pinceaux et quelques tubes de couleurs, l’acquisition d’un pinceau en poil de martre relevait de la quête du Graal.
Je suis toujours restée fidèle à l’huile, exigeante mais au rendu profond, avec des matières que je combine aujourd’hui à d’autres techniques.

Vos influences ?

J’empruntais les livres à la bibliothèque, des livres d’art évidemment. Je pouvais alors copier, peindre à la manière de Velázquez, Degas, Turner, Vlaminck, Cézanne, Utrillo, Braque, Modigliani… Je passais à Fernand Léger pour ses modelés à Goya pour la profondeur des ombres. Un apprentissage vraiment intéressant.
C’était essentiellement du figuratif, des portraits pour capter le réel des émotions et obtenir des rendus authentiques… des paysages pour travailler les profondeurs et restituer l’intensité des lumières et des couleurs.

Comment avez-vous évolué de la figuration vers l’abstraction ?

Mes créations figuratives ne me procuraient pas d’exaltation particulière. J’ai fait ça jusqu’à l’âge de 16 ou 18 ans, presque jusqu’à saturation. Mais ce n’était pas vraiment moi, dans le sens où je n’y trouvais pas un moteur de satisfaction suffisamment puissant.
Je n’amenais rien de neuf à la figuration, fauvisme, cubisme, c’était marrant mais sans plus, le symbolisme ne m’intéressait pas… Il fallait autre chose, une autre narration.
Un break de quelques années pour me dégager de ces références et trouver une autre voie, rejoindre celle des illuminations de l’enfance, des matières et des taches de couleurs qui éblouissement le cœur et racontent des histoires vibrantes de sens.

Avez-vous toujours voulu être artiste et comment avez-vous commencé à exposer ?

Peindre était pour moi une évidence et une nécessité.
Pour autant je montrais assez peu mes réalisations, je suis quelqu’un de réservé, je n’aime pas m’afficher. Or l’abstraction reflète souvent l’intériorité, l’expression des sentiments, un certain égocentrisme dans lequel je ne m’inscris pas. Je ne pouvais pas m’imaginer à la recherche d’un public complaisant pour faire démonstration d’une exubérance égotique.
Comme beaucoup d’artistes je suis plutôt une solitaire.
Exposer, c’est s’exposer, ça me met un peu mal à l’aise.
Je ne recherche pas ce genre de sensation…
… et pourtant j’apprécie de pouvoir montrer mon travail artistique
Une amie artiste m’a quasiment obligé à montrer mon travail, il fallait surmonter ça. C’était dans les années 1990, j’ai mis ça sur le web. Les retours n’ont pas tardé et les expos se sont enchaînées. Je me sentais « foutue » de ce point de vue-là (ma timidité) mais cela me donnait une sorte de légitimation et m’autorisait à poursuivre et développer mon travail artistique.
Aujourd’hui je me sens libre d’exprimer la vision artistique contemporaine qui est la mienne.

Comment se déroule votre processus de création ?

Tout d’abord, il y a une envie, le désir de re-présenter quelque chose de précis, qui n’existe pas en soi en tant que tel mais qui raconte un cheminement, une évolution. C’est l’esquisse des phénomènes successifs qui conduisent à un état actuel. Non pas copier mais présenter la chose d’une manière inédite, narrative, une « image » qui retrace un processus.
J’inscrit le titre au coin de l’atelier. Quel format, quelles couleurs, quelles matières ? Je prépare, je mature, un travail de gestation indispensable.
Et c’est parti ! entre 3 semaines et 3 mois pour une toile – parfois une année, je travaille dans le frais, le mi-frais, le sec… un procédé et des techniques de longue haleine en symbiose avec ce que je raconte sur la toile : un déroulement complet, parfois complexe.
Je raconte dans mes toiles une histoire qui se déroule sur un temps long, jusqu’à obtenir la restitution finale en une image qui ne corresponde à aucune autre mais dont la lisibilité parle au regardeur.

Vos projets de création et d’expos ?

Garder la capacité à s’émouvoir. Cultiver l’émerveillement, le désir, l’éblouissement des possibles. Être à l’écoute et saisir les opportunités sans forcer les choses. Poursuivre l’exploration : recherche et développement, tester, tenter, innover encore et encore.
Demeurer authentique et sincère.
Compilation de divers entretiens menés de 2009 à 2025.